Mes cours de français à un jeune moine laotien

Mes cours de français à un jeune moine laotien

» Histoires de voyages » Rencontres » Mes cours de français à un jeune moine laotien

Publié le 1 mars 2016 par Hélène Salaün

J’ai donné des cours de français à un jeune moine laotien à Luang Prabang

Petit retour sur cette belle histoire… C’est dans la « library » de Luang Prabang située en face du Palais Royal que j’ai vu une petite annonce écrite en français par un jeune moine laotien nommé Phone qui recherchait des touristes français disponibles pour lui donner des cours de français.

La library est une sorte de bibliothèque associative/dépôt-vente de livres étrangers où les touristes et les locaux peuvent discuter et échanger des livres dans une ambiance conviviale .  

Phone, le jeune moine donnait pour tout renseignement le mail d’un voyageur québécois qui venait de lui enseigner le français durant deux mois. 

J’envoie donc un mail à ce voyageur prénommé Claude pour lui dire que j’aimerais donner des cours de français à Phone, mais lui explique que je ne passe qu’une semaine à Luang Prabang et que je ne suis pas enseignante. Je lui demande aussi s’il pense que Phone accepterait que son professeur soit une femme.

J’en profite pour lui poser quelques questions d’ordre pratique sur la façon dont il donnait ses cours à Phone…

Mon premier rendez-vous avec Phone au monastère

Phone a reçu le message de Claude, et dès le lendemain me contacte pour le rencontrer dans le monastère où il exerce son ministère avec 10 novices et un moine supérieur.

Je rappelle à Phone la courte durée de mon séjour et lui dit de se sentir libre si cela ne l’intéresse pas. Phone est très enthousiaste à l’idée de parler français et la rencontre est instantanément très chaleureuse. 

Je lui demande si son supérieur ne prendra pas ombrage de me voir venir lui donner des cours et si je ne vais pas perturber la vie du monastère. Il me répond que son supérieur est ouvert à ce genre de propositions qui visent à améliorer les connaissances des moines et des novices.

Nous convenons donc de nous voir tous les matins au monastère pendant 8 jours. Trois semaines plus tard, je suis toujours à Luang Prabang et donne des cours à Phone quotidiennement !

Durant ce rendez-vous étonnant, nous faisons connaissance en français

Phone manie déjà relativement bien la langue. Il a étudié durant 7 mois à l’Institut Culturel Français de Luang Prabang, puis deux mois avec Claude, voyageur québécois. Je questionne Phone sur les raisons qui incitent un jeune moine laotien de 20 ans à apprendre le français afin de nous mettre d’accord sur un programme. Il m’explique alors qu’il souhaite se “défroquer” et devenir guide francophone pour partager son amour et sa connaissance du Laos auprès de touristes français. 

Ses parents ne pouvant subvenir aux besoins de leurs trois enfants, Phone a fréquenté l’école des moines au Laos à partir de l’âge de 10 ans.  En dehors même de l’aspect financier, les familles laotiennes ont pour habitude d’envoyer un de leurs fils (en général l’ainé) à l’école des moines. Le jeune frère de Phone est lui aussi actuellement novice dans un autre monastère, dans le sud du pays. 

À l’âge de 20 ans, après dix années d’étude à l’école des novices, Phone aurait aimé poursuivre sa scolarité à l’université et devenir étudiant, mais sa famille ne pouvant subvenir à ses études, il est devenu un jeune moine. 

Il me confie alors qu’il manque de livres ou de magazines français à lire pour apprendre la culture française. J’arrive juste du Cambodge où j’ai trouvé pour la première fois depuis le début de mon voyage un peu de presse française à l’aéroport de Siem Reap. J’y ai acheté un numéro spécial de Courrier International consacré à la date anniversaire des attentats de Charlie Hebdo.

Je demande alors à Phone ce que les moines laotiens connaissent de l’actualité internationale et du terrorisme. Il me répond qu’il n’ont pas de télévision, pas de radio, ne lisent pas les journaux et vivent donc totalement “en dehors de l’actualité mondiale”.

Je lui offre mon journal dont il tourne et retourne les pages, avec un mélange d’émotion, de respect, d’intérêt et de curiosité. Il découvre alors l’actualité internationale et j’essaye de répondre à toutes ses questions. Je lui explique ce qu’est le concept de “liberté de la presse”, ce qu’est le métier de “dessinateur de presse” et ce que signifie “Je suis Charlie”. Il a beaucoup de mal à croire que des dessinateurs aient pû être tués pour leurs dessins…

Je ne pensais pas me retrouver un jour à parler de cela avec un jeune moine au Laos !

Phone est un jeune moine curieux et un élève assidu 

Les séances de travail se déroulent au monastère sous l’oeil attentif des novices et des petits chiens qui y ont élu domicile. Phone ne quitte pas son dictionnaire français-lao et ses cahiers d’exercice qu’il garde précieusement depuis ses cours à l’Institut culturel français et travaille son français dès qu’il a un moment. Ce qui n’est pas évident dans une vie de moine ! Certains novices viennent s’asseoir à côté du jeune moine pour y faire leurs devoirs de mathématiques. 

Je leur présente Couinn-Couinn, ma mascotte qui fait le tour du monde avec moi et devient momentanément la mascotte du monastère.

Avec Phone, nous cherchons un autre nom plus facile à prononcer, et décidons de l’appeler “Couinette la starlette” parce qu’elle pose sur toutes les photos ! Cela me permet de lui expliquer ce que sont des rimes dans la langue française.

S’en suit une séance de recherche de rimes avec nos prénoms. Avec Hélène, c’est relativement facile, mais avec un prénom comme Phone, difficile de trouver une rime riche ! L’ambiance est très décontractée mais studieuse. Au programme pour Phone, dictée, lecture, grammaire, jeux de rôles, balades et discussions.

Je propose ensuite à Phone de le mettre en situation de guide touristique

Puisque le projet de ce jeune moine est de devenir guide francophone, autant qu’il s’exerce avec moi ! 

Je vais donc jouer la touriste française qui posera plein de questions sur la vie des moines et sur la culture du Laos (ce que je fais très bien…).

Ce jeu de rôles le fait rire et lui plait beaucoup. Il devient ainsi mon professeur et répond à mes nombreuses questions…

  • À quoi ressemble la journée d’un jeune moine au Laos ?
  • Quelle différence entre un moine et un novice, comment les reconnait-on ? 
  • Que signifient les peintures qui couvrent le monastère ?
  • Que pensent les moines des touristes qui se bousculent autour d’eux pour prendre des photos pendant les aumônes le matin ?
  • Quelle forme de bouddhisme pratiquez-vous au Laos ?
  • Pourquoi est-il interdit pour vous de toucher une femme ?”…

Nous échangeons mutuellement nos connaissances et nos cultures

Pour compléter la mise en situation, Phone propose de m’amener dans des endroits inconnus des touristes, de l’autre côté du Mékong, en face de Luang Prabang pour me montrer des monastères très anciens, me faire voir la “vraie” vie des villageois et me montrer des échoppes d’artisans. Tout se passe dans des conditions privilégiées, avec un très grand respect et une très grande complicité. J’embarque donc avec Phone, mon jeune “guide” moine laotien dans une pirogue pour traverser le Mékong et découvrir l’autre côté de la rive… 

Je n’oublierai jamais cet après-midi avec ce jeune moine laotien qui voudrait devenir guide francophone. J’aimerais tellement l’y aider, mais je lui ai fais prendre conscience, qu’en dehors même de l’apprentissage de la langue, il devrait aussi apprendre les codes civils des relations d’un guide avec ses touristes. C’est à dire… regarder les personnes auxquelles il s’adresse en les regardant dans les yeux (pour lui, c’est un manque de respect), serrer la main à ses touristes femmes, prendre un verre ou déjeuner dans un restaurant avec ses clients, s’habiller en jean-tshirt-baskets… Tout cela lui semble insurmontable !

Une relation très forte s’est nouée entre Phone et moi et nous avions tous les deux des larmes aux yeux au moment de nous séparer. J’ai promis à Phone de revenir un jour au Laos pour constater ses progrès en français et voir s’il a pris la difficile décision de quitter l’ordre des moines pour devenir guide francophone dans une vie civile…

Décembre 2019… Je viens d’avoir des nouvelles fraîches de Luang Prabang, Phone a quitté son monastère et la vie monastique pour entrer dans la vie civile, comme il le souhaitait. Je n’ai malheureusement pas davantage d’informations sur sa reconversion.

 

Laissez un commentaire

7 Commentaires

  1. Brigitte Lopez

    Bravo Hélène. Qu’elle belle histoire !
    C’est à ça que servent les voyages : vivre des aventures humaines fortes.
    J’ai envie de partir au Laos pour prendre le relai…
    Sérieusement, je suis prof de FLE et j’adorerais découvrir le Laos. Alors pourquoi pas un échange culturel avec Phone ?

    Réponse
    • Hélène

      C’est sûr que si vous êtes prof, ce sera un enseignement plus « professionnel » que le mien ! Parce que Phone a appris le français à l’institut culturel français de Luang Prabang et est très attaché à la grammaire et aux conjugaisons. Il me demandait quelquefois s’il devait utiliser le passé simple ou le plus que parfait par exemple… Et là, j’étais nettement moins bonne qu’au jeu de trouver des rimes avec des mots -:)
      Mon enseignement a été vivant, ludique et pratique à défaut d’avoir été très orthodoxe…

      Réponse
    • Patricia

      Bonjour Helene
      Très belle expérience
      Je me pose aussi beaucoup de questions sur la vie et la journée des moines
      Puis je avoir les réponses que Phone a donné sur ça ?
      Merci
      Patricia

      Réponse
  2. HUYNH

    Superbe rencontre, Hélène. C’est ça, le sel du voyage. Pas de passer de monastères en temples à 100 à l’heure et de retourner dans son hôtel climatisé ensuite.

    Réponse
    • Hélène

      On est d’accord !

      Réponse
  3. OPHELIE DIAZ

    Bonjour,
    Je viens de tomber un peu par hasard sur votre site. J’ai parrainé pendant plusieurs années Inpone, une petite laotienne. maintenant je parraine Tiphajane. Elle a 7 ans. Je suis allée en octobre au Laos et suis revenue enchantée et totalement transformée.
    Est-ce que le jeune moine est toujours intéressé par le français ,
    Si oui j’aimerai lui écrire et échanger avec lui.

    Réponse
    • Hélène

      Bonsoir, merci de votre proposition ! j’ai pris des renseignements auprès du monastère de Phone car je n’avais plus d’échanges directs avec lui depuis un an. Un ami, manager d’un hôtel à Luang Prabang s’est rendu au monastère où on lui a dit que Phone avait quitté le monastère et sa vie de moine il y a un an. Il a donc réalisé son rêve et j’espère qu’il est effectivement devenu guide francophone comme il le souhaitait. Je vais essayer d’en savoir plus…

      Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Pin It on Pinterest

Share This